Les calculs rénaux sont parfois le signe d’une pathologie bien plus grave : l’hyperoxalurie primaire de type 1 (HP1). Les victimes de cette maladie héréditaire sont souvent très lourdement frappées, parfois dès le berceau. Elle peut mener à l’insuffisance rénale terminale et 20 à 50 % des patients ont déjà une insuffisance rénale avancée au moment du diagnostic. Nathalie Godefroid, Pédiatre néphrologue aux Cliniques universitaires Saint-Luc de Bruxelles, nous en détaille les multiples aspects.
Texte : Philippe Van Lil
Quelle est la nature de la maladie HP1 ?
Nathalie Godefroid : « Au départ, il s’agit d’une anomalie au niveau du foie. Cet organe sert notamment à éliminer les déchets de notre organisme en les dégradant chimiquement. La maladie se traduit par une surproduction d’un de ces déchets : l’oxalate. Cette substance très peu soluble forme, au contact du calcium, des cristaux au niveau des reins. Leur accumulation provoque un phénomène de pierres au rein ainsi que la formation de dépôts à l’intérieur des reins, ce qui mène à l’insuffisance rénale. Dès que les reins sont saturés, ces cristaux continuent de s’accumuler partout dans l’organisme, jusque dans les os.»
Quelle en est l’incidence ?
N. G. : « Dans les pays occidentaux, on compte environ un cas pour 120.000 naissances. Cette maladie d’origine génétique est transmise de façon récessive, c’est-à-dire lorsque les deux parents sont porteurs de la mutation, mais eux ne la développent pas. L’incidence est plus élevée dans les pays asiatiques et africains, où les mariages consanguins sont plus fréquents. »
Le diagnostic est-il toujours aisé ?
N. G. : « Non. D’une part car il s’agit d’une maladie méconnue et donc pas toujours diagnostiquée suffisamment tôt. À l’heure actuelle, il n’existe d’ailleurs pas de dépistage systématique de cette pathologie. D’autre part car la maladie est parfois très insidieuse : la survenue d’épisodes de calculs aux reins dus à l’accumulation de cristaux n’attire pas nécessairement l’attention du médecin. Dans 10 % des cas, le diagnostic est posé quand la maladie revient sur le greffon rénal, puisque la véritable cause, au niveau du foie, n’a pas été réglée. »
Quel est l’impact de la maladie sur la qualité de vie ?
N. G. : « Cela dépend du degré de sévérité de la maladie. Dans les formes les plus sévères, des bébés de quelques mois à peine ont parfois les reins complètement calcifiés. Comme ils sont en insuffisance rénale, il faut les placer en dialyse au quotidien à l’hôpital. Ce système d’épuration du sang via une machine est extrêmement lourd. À terme, il faut aussi pratiquer une double greffe du foie et d’un rein : le foie pour permettre la dégradation normale de l’oxalate et un rein pour remplacer les reins natifs calcifiés. »
On déconseille certains aliments très riches en oxalates, comme le café, le chocolat, les épinards et le coca.
Qu’en est-il pour les patients plus âgés ?
N. G. : « Il y a une accumulation de cristaux au fil des années. Il en résulte des crises de pierre au rein, extrêmement douloureuses, et une inflammation progressive des reins qui impacte la fonction rénale. Au stade de pierres aux reins occasionnelles, les adultes voient leur vie perturbée mais peuvent généralement poursuivre une vie sociale et professionnelle si la prise en charge est appropriée. Au stade d’insuffisance rénale, c’est souvent beaucoup plus compliqué en raison de l’état de fatigue permanent associé à la maladie. »
Hormis la greffe de reins, de quelle prise en charge le patient peut-il bénéficier ?
N. G. : « Actuellement, au stade précédant l’insuffisance rénale, le traitement traditionnel consiste en une hyperhydratation pour diluer les cristaux. On conseille de boire minimum 3 litres d’eau par jour. Pour les bébés, il faut parvenir à leur faire prendre un litre, ce qui est énorme, réparti sur les 24 heures de la journée, d’où la nécessité de placer une sonde. En outre, on donne des médicaments au patient : des inhibiteurs de la cristallisation sous la forme de gélules. »
Un régime alimentaire spécifique s’impose-t-il ?
N. G. : « On déconseille certains aliments très riches en oxalates, comme le café, le chocolat, les épinards et le coca. Mais la production d’oxalates est telle qu’un régime alimentaire très strict ne change pas grand-chose. En revanche, en cas de fonction rénale diminuée, le régime sera nécessairement plus strict puisque l’organisme n’arrive plus à éliminer correctement certains déchets. En cas de formation de pierres, on conseille en plus de réduire la consommation de sel. »
Tout ce qui précède implique une prise en charge multidisciplinaire…
N. G. : « Effectivement ! On a besoin des spécialistes du rein que sont les néphrologues, y compris les néphrologues pédiatriques, et des urologues pour la prise en charge des calculs au rein. Ensuite, un généticien peut être nécessaire afin de réaliser un bilan dans les familles dont un premier membre a déjà la maladie. De même, des suivis psychologique et diététique sont recommandés. »
De même que faire appel à des associations de patients…
N. G. : « Celles-ci sont en effet extrêmement importantes en termes de soutien, d’échanges de bonnes pratiques et de diffusion d’informations. Ces dernières sont nécessaires tant pour les patients que pour les familles et les professionnels qui connaissent mal la maladie… ou encore pour le monde politique ! Les nouveaux médicaments coûtent en général extrêmement cher et les patients qui en ont besoin doivent pouvoir se faire entendre pour y avoir accès à un prix juste qui tient compte à la fois des limites des systèmes de soins de santé et du coût de l’innovation »
– Témoignage –
Une maladie difficile à gérer au quotidien
Séverine est la maman d’enfants de 9 et 2 ans, tous deux atteints de la maladie HP1. Elle témoigne de la situation de sa fille aînée.
« Notre fille est née prématurément et a été diagnostiquée un peu par hasard, vers 4 semaines, alors que les médecins faisaient une échographie abdominale de routine comme cela se fait chez les prématurés. Comme elle a été dépistée très tôt, un traitement d’hyperhydratation a été mis en place en place très vite. Aujourd’hui, elle a une bonne fonction rénale. »
Pour l’enfant, comme pour sa famille, la vie au quotidien est toutefois synonyme de multiples contraintes. « Sous peine de coliques néphrétiques, l’hyperhydratation est indispensable. Depuis qu’elle est née, il a fallu lui administrer jusqu’à 3,5 litres d’eau par jour. Pour un jeune enfant, c’est impossible de boire une telle quantité. Dès lors, depuis ses 3 mois, elle a une gastrostomie : un bouton a été implanté au niveau de l’estomac, sur lequel une petite tubulure qui y est raccordée permet d’injecter de l’eau directement dans son estomac avec une seringue. »
Jusqu’il y a peu, une infirmière passait encore à l’école deux fois par jour pour ses soins. « Le regard des autres est très difficile à supporter. La détresse psychologique de notre fille était telle qu’à l’âge de 7 ans, elle m’a dit un jour qu’elle préférait mourir que vivre avec cette maladie ! »
Un mot sur le petit frère : il a une forme plus sévère de la maladie. Il est en dialyse six jours par semaine. Du lundi au samedi, les parents passent toutes leurs matinées à l’hôpital.
PH1-BEL-00012 version FEB 2022
– Les propos recueillis par le journaliste n’engagent que l’interviewée. –