Le groupe des 65 ans et + représente près de 20 % de la population aujourd’hui et représentera 25 % en 2050. Avec des conséquences déjà effectives sur les soins de santé, tant au niveau des coûts que du personnel indispensable pour accueillir au mieux cette population. Trois experts du secteur santé soulignent les défis et dégagent des pistes pour y faire face.
Philippe Devos, Directeur Général de l’UNESSA
Christine de Bray, Directrice d’Abrumet/Réseau santé bruxellois
Didier Delval, Directeur Général du CHWAPI
Le vieillissement de la population constitue-t-il un défi majeur ?
Didier Delval, Directeur Général du CHWAPI : « Forcément, au plus la population vieillit et au plus des pathologies vont apparaître, d’autant plus que ces personnes vont atteindre un âge tel que leur revalidation et leurs conditions de vie à domicile seront de plus en plus complexes. On estime donc qu’il faudra à terme 100.000 places supplémentaires en résidences-services. »
Philippe Devos, Directeur Général de l’UNESSA : « La difficulté, c’est que le concept de durée de vie en mauvaise santé ne diminue pas : il reste en moyenne de 17 années en Belgique. Avec les coûts que cela entraîne. Une des solutions pour se sortir de cette spirale, c’est un meilleur système préventif. Par ailleurs, il y a plus de personnes âgées, mais pas un travailleur de plus pour s’occuper d’elles, d’où un problème de main d’œuvre. L’urgence absolue aujourd’hui n’est donc pas de construire des lits supplémentaires, mais d’éviter qu’on les remplisse ! »
Christine de Bray, Directrice d’Abrumet/Réseau santé bruxellois : « Il faut des moyens pour faire davantage de choses, mais aussi penser à faire mieux avec ce qu’on a. Une amélioration énorme au niveau continuité et efficacité des soins viendra d’une meilleure liaison entre la maison de repos, les médecins généralistes, les infirmières et les hospitalisations. »
Parallèlement, les budgets de rénovation des bâtiments semblent en diminution ?
P. Devos : « Malgré les plans de financement de la Région wallonne, des hôpitaux n’arrivent pas à accéder à l’emprunt pour effectuer les rénovations. Belfius, dans son étude MAHA, mentionne que 1/3 des hôpitaux sont à risque et ce n’est pas mieux avec les maisons de repos : les marges ou les subsides qui permettent de rénover ne sont pas suffisants pour faire face à l’accueil massif de nouvelles personnes. »
D. Delval : « Et on ne parle que de la rénovation des places existantes. Idéalement, il faudrait que la maison soit le plus longtemps possible le lieu de résidence et qu’on puisse y mettre toutes les structures et les ressources autour du patient : télésurveillance, appels à domicile, aides ménagères… »
Selon les statistiques, au plus on vieillit, au plus on coûte cher à l’assurance-maladie. Que pensez-vous de ce constat ?
D. Delval : « J’estime qu’au lieu de parler de dépenses, il conviendrait de parler d’investissements en soin de santé. Car soigner quelqu’un, c’est aussi, souvent, le guérir, lui permettre de vivre mieux et plus longtemps, ou encore de le remettre dans le circuit du travail s’il est en âge de travailler. Tout cela contribue à la santé de l’économie. »
P. Devos : « Ces statistiques sont biaisées. En réalité, ce qui coûte le plus cher, c’est la dernière année de vie, quel que soit l’âge concerné, même si évidemment on meurt davantage de nos jours à 80 ans qu’à 40. Pour les personnes très âgées, oser leur demander ce qu’elles souhaitent pour leur fin de vie est un sujet encore très tabou. Conséquence : la personne âgée qui n’a pas anticipé la chose se retrouve parfois à subir des soins qu’elle n’a pas voulu. Un problème de libre arbitre accru lorsque la personne en maladie sévère ou terminale ne bénéficie plus de toutes ses facultés intellectuelles. »
La pénurie de profils adéquats est une réalité pour 7 employeurs sur 10 dans le secteur des soins de santé. Quelles sont les pistes pour y faire face ?
C. de Bray : « J’entends de toutes parts une demande de simplification administrative, car le temps dédié aux soins du patient se trouve pénalisé par un manque de rationalisation de certains flux d’information. La donnée doit être encodée une seule fois dans le cadre des soins dispensés, puis réutilisée pour les usages en matière de santé publique et de prévention. »
D. Delval : « Il faut parler positivement du métier et redonner des moyens et du temps aux soignants. Environ 30 % du temps de travail est consacré à de l’encodage, c’est énorme ! C’est le plus important : redonner du sens à ce métier qui est d’aider et d’accompagner, reconnaître la compétence du soignant, qui a effectué de nombreuses années d’études et dont le métier devient de plus en plus spécialisé. Il faut donc pouvoir lui faire confiance dans ses tâches quotidiennes. Reconnaître sa compétence, déléguer davantage, diminuer la charge administrative et parler positivement du métier, cela va attirer des jeunes. »
P. Devos : « Le recours à l’interim, qui est pourtant en croissance dans le secteur, ne suffit pas non plus à diminuer le déficit. Et si on y ajoute les 12 % d’absentéisme du secteur, il y a un problème majeur à solutionner. Je rejoins M. Delval : il faut réenchanter le métier du soin en faisant confiance au personnel. L’Etat met en place des lois qui font que l’entrepreneur de soins n’a pas le droit légal de faire confiance à ses équipes ! La solution est sous nos yeux, encore faut-il la mettre en œuvre. »
Quelles sont les actions envisagées et entreprises pour renforcer la coordination entre les différents acteurs de soins ?
C. de Bray : « En ce qui concerne l’existant, les données en provenance de l’hôpital pourraient être partagées plus rapidement : la lettre de sortie devrait être disponible via les réseaux santé dès que le patient quitte l’hôpital, pour que la première ligne puisse prendre le relais plus efficacement. De nouvelles initiatives voient aussi le jour au niveau des réseaux santé, par exemple en Wallonie avec une feuille de liaison au niveau gériatrique, et à Bruxelles une feuille de liaison périnatale. »
P. Devos : « Nous œuvrons au développement de l’INAH, un logiciel d’anonymisation et d’interopérabilité qui permettra à chaque partie concernée de s’inter-évaluer pour découvrir leurs zones de faiblesses. Par ailleurs, au sein de l’hôpital, les urgences, l’entrée et la sortie sont des points de transition dont on pourrait améliorer l’efficacité, en demandant par exemple à un gériatre de revoir un traitement avant la sortie du patient, en ayant un entretien avec le médecin traitant… »
D. Delval : « C’est la gestion de l’information des points de transition. Chaque professionnel, à son niveau, a en effet besoin d’une bonne circulation de l’information. »
C. de Bray : « Nous avons de nombreuses idées pour améliorer la transmission de l’information, y compris vers le patient, mais les logiciels sont des partenaires essentiels dans ce processus. Chaque hôpital se trouvant isolé face à son propre logiciel, il faut se concerter et œuvrer ensemble pour atteindre les objectifs visés. »
Pour ce faire, la coopération du monde politique est indispensable ?
C. de Bray : « Avoir un gouvernement en affaires courantes pendant des mois, suivi d’un nouveau gouvernement qui doit prendre connaissance des dossiers pendant de longues semaines, ça rend les choses difficilement tenables, et pas uniquement au niveau des soins : au niveau de la gestion des données, ce manque de vision est également problématique. »
P. Devos : « La Belgique est un des rares pays dans le monde dont toutes les structures de soins hospitaliers sont à but non lucratif, ce qui est une excellente chose. Par contre, on est tombé dans un tel excès de régulation qui crée un carcan tellement étroit qu’en cas de difficulté, on se retrouve coincé. Il suffit de voir à quel point, pendant le Covid, il a fallu adapter en urgence une quantité invraisemblable de lois, simplement pour permettre aux hôpitaux de soigner rapidement les gens ! »
D. Delval: « Quand on voit la difficulté de dégager un peu de bénéfices et de garder nos hôpitaux à l’équilibre, un cadre législatif assoupli permettrait de gérer différemment les ressources et de les mettre davantage au chevet du patient. Si ceux qui nous gouvernent pouvaient avoir une vision des soins de santé sur une période de 10 à 15 ans, ce serait parfait. »