Trois acteurs-clés de la chimie et des sciences de la vie débattent de la position de notre pays en matière de Recherche & Développement.
Les chiffres en matière de demandes de brevets et de dépenses en R&D sont impressionnants en Belgique. Quels éléments significatifs peut-on mettre en avant à ce sujet ?
Frédéric Druck : « Les investissements du secteur pharma biotech en R&D ont atteint 5,5 milliards d’euros en 2021, un niveau record, et ont plus que doublé en 10 ans. Avec presque 1000 demandes de brevets par an pour la chimie, pharma et biotech, le secteur représente 40 % de l’ensemble des demandes de brevets belges. Nulle part au monde, la part de la chimie et des sciences de la vie n’est aussi élevée. Développer une approche vaccinale ou thérapeutique, c’est aussi développer les processus de production et leur optimisation, qui vont jouer directement sur la rentabilité, la sécurité et l’efficacité. »
Annelies Van Buyten : « Il ne s’agit pas d’innover pour être innovant, mais d’avoir un impact sur la vie des patients. Roche investit une grande partie de son chiffre d’affaire en R&D, non seulement dans l’innovation mais aussi dans la prévention. »
Vincent Seynhaeve : « Nous sommes innovatifs, mais il faut rester agiles et attentifs, surtout avec tout ce qui a trait au digital et aux datas. L’écosystème évolue en permanence et tous les acteurs concernés – l’industrie pharmaceutique, les académiques, le diagnostic- doivent y réfléchir. L’objectif étant de garantir au patient l’accès à l’innovation, que ce soit à travers une étude clinique, le lancement d’un produit ou une collaboration avec une académie. »
Parallèlement, notre pays est également à la pointe en matière de découvertes de technologies pionnières : ARN messager, avancées en matière de thérapies cellulaires et géniques…
Vincent Seynhaeve : « Tout récemment encore, Takeda annonçait un investissement de 300 millions d’euros pour accroître la capacité de production et de stockage de son usine à Lessines -qui emploie déjà 1200 personnes-, afin de fabriquer des thérapies dérivées du plasma. »
Annelies Van Buyten : « Le profilage génomique complet permet d’étendre l’accès à la recherche personnalisée sur le cancer, en explorant les traitements potentiels qui ciblent des mutations précises et en nous aidant à fournir des soins personnalisés. De telles avancées ont un impact non seulement sur le patient mais aussi pour tout son entourage. »
Frédéric Druck : « Si on a pu affronter le Covid avec les vaccins à ARN messager produits par millions de doses, c’est parce que l’expertise et les technologies étaient là, grâce à la maturité de nos partenaires académiques, logistiques et régulatoires et la grande agilité de notre industrie. Un environnement positif et supportif très précieux. »
Pour autant, encore faut-il que chacun puisse avoir accès à ces traitements novateurs ?
Vincent Seynhaeve : «En effet, il faut veiller à ce que tous les patients qui en ont besoin, devraient avoir le même accès à un médicament ou une thérapie. Ce n’est pas toujours le cas, à cause d’indices d’épidémiologie, de demandes spécifiques des autorités, ou de budget. Par rapport à ce dernier constat, les firmes devraient mieux communiquer sur les coûts de la R&D d’un nouveau médicament, car la perception du public est parfois négative à ce sujet. Grâce aux avancées scientifiques on avance de plus en plus vers un système de médecine personnalisée, qui est très performant, mais plus couteux, certainement quand il s’agit d’une maladie rare qui ne concerne parfois qu’un ou deux patients en Belgique contrairement à un traitement chronique prescrit à grande échelle, qui va engendrer des revenus qui seront ensuite réinjectés dans la R&D. »
Annelies Van Buyten : « C’est là que la transparence est importante en expliquant clairement les choses. Dans cette optique, la valeur ajoutée du diagnostic est considérable, car elle aide à la prévention et évite de nombreux coûts. Le dépistage, la détection et l’initiation précoce du traitement contribuent à des résultats favorables pour les patients. L’innovation diagnostique permettra également de personnaliser davantage les traitements en fonction du patient. »
Néanmoins, alors que notre pays est à la pointe de l’innovation, l’accès aux traitements innovants pour le plus grand nombre semble plus complexe que dans d’autres pays européens ?
Annelies Van Buyten : « Idéalement, les décisions doivent être prises au même niveau décisionnel pour pouvoir rester innovants dans les processus. Par exemple, les remboursements sont du domaine fédéral, tandis que la prévention est une affaire régionale. Par ailleurs, le leadership dont nous disposons doit être préservé, car si des produits ne sont plus lancés directement sur le marché belge, cela aura un impact sur le patient. Tous les acteurs des soins de santé ont donc intérêt à collaborer pour rester compétitifs. »
Il ne s’agit pas d’innover pour être innovant, mais d’avoir un impact sur la vie des patients.
Annelies Van Buyten
Frédéric Druck : « D’autant plus que cette collaboration porte ses fruits. Un mécanisme fédéral de soutien à l’innovation existe : baisses de charges ONSS pour les chercheurs, régimes relatifs à la propriété intellectuelle, etc. Il doit absolument être préservé, voire renforcé. La rentabilité du système amène les investisseurs et entraîne une plus-value pour l’état, avec la création d’emplois directs qui créent eux-mêmes au moins plus de deux emplois indirects. Soit environ 100.000 emplois générés. Sans parler de la valeur ajoutée économique. Au niveau régional, une belle dynamique est également à l’œuvre. »
Si on a pu affronter le Covid avec les vaccins à ARN messager produits par millions de doses, c’est parce que l’expertise et les technologies étaient déjà là.
Frédéric Druck
Vincent Seynhaeve : « Il faut pouvoir donner à chaque patient le même accès aux traitements dont il a besoin, quelle que soit la distance entre son domicile et l’hôpital où il peut être traité. Par ailleurs, l’ancienne manière de travailler consistait à effectuer des études cliniques sur des grands groupes de patients. Il fallait des années pour aboutir à des résultats et permettre l’accès pour l’ensemble de la population, alors que chaque patient est un cas individuel. Il faut donc adapter la législation, pour qu’on puisse bénéficier d’une meilleure collaboration à tous les niveaux et avancer ensemble plus rapidement. »
Il faut pouvoir donner à chaque patient le même accès aux traitements dont il a besoin, quelle que soit la distance entre son domicile et l’hôpital.
Dr Vincent Seynhaeve
Annelies Van Buyten : « Les données jouent aussi un rôle important. Tout va beaucoup plus vite, il faut adapter cet écosystème en donnant accès aux données. C’est lié à toutes les technologies qui font qu’on peut voir quelles sont les mutations dans les cancers, par exemple . Avec, à la clé, un accès à un traitement efficace. »
Frédéric Druck : « A plus grande échelle, nous restons très attentifs à disposer d’un cadre européen performant par rapport à l’Asie ou aux États-Unis. Les transitions de la digitalisation et de la durabilité sont donc des étapes essentielles qui vont permettre d’accélérer les processus d’innovation et de sortir plus vite les produits innovants sur le marché. L’État doit donc être conscient que nous disposons de grands acteurs avec des outils de production et qu’il est crucial de préserver ce leadership stratégique. »
En 2021, le secteur bio-pharmaceutique belge c’est :
➯ 5,5 milliards d’euros investi en R&D
➯ 1000 demandes de brevets, soit 40 % du total des demandes
➯ Plus de 500 essais cliniques lancés
➯ l’Introduction de 75 nouveaux traitements pour les patients, dont 5 médicaments pour le traitement de maladies rares