La santé mentale est souvent un sujet tabou en entreprise. Une nouvelle campagne des autorités fédérales entend le briser. Les explications de Peter Samyn, Président du SPF Sécurité sociale, et Valérie Flohimont, Psychothérapeute spécialisée en bien-être au travail.
Texte : Philippe Van Lil
Pourquoi avoir lancé la campagne « Je me sens bien au travail » ?
Peter Samyn : « Car les maladies mentales – psychiques, burnout, dépression, etc. – augmentent de près de 10 % par an depuis des années. Avec la crise sanitaire, le stress et l’isolement dus au télétravail n’ont fait qu’accentuer le problème. »
En entreprise, les conflits interpersonnels pour de petites choses ne cessent d’augmenter ; de plus en plus de collaborateurs craquent.
Valérie Flohimont
Valérie Flohimont : « Déjà avant la pandémie, c’était un sujet de préoccupation que le gouvernement précédent avait pris à bras-le-corps. Il avait lancé un plan de prévention intégré pour les troubles psychiques liés au travail, dont le burnout. Mais, avec l’apparition du Covid-19, la santé physique a légitimement pris le pas, reléguant la santé psychique au second plan. Dès mars 2020, les experts ont pourtant tiré la sonnette d’alarme concernant les dégradations de la santé psychique de la population. Les études et enquêtes de Sciensano n’ont fait que confirmer cela depuis près de deux ans. »
Comment ces dégradations se manifestent-elles ?
V. F. : « Il faut par exemple s’interroger quand un collègue est plus souvent absent. D’autres changements d’attitudes peuvent être aussi détectés facilement : son ton et sa manière de s’exprimer ; une surconnexion et l’envoi de messages à toute heure du jour et de la nuit ; à l’inverse, l’absence de nouvelles ; etc. Tous ces signaux ne sont pas forcément des problèmes de burnout ou de mal-être au travail mais ils doivent susciter des interrogations. Le tout est de le formuler gentiment, avec tact, sans être indiscret par rapport à la vie privée. »
« En entreprise, les conflits interpersonnels pour de petites choses ne cessent d’augmenter ; de plus en plus de collaborateurs craquent. La période des fêtes, les nouvelles mesures anti-Covid et l’absence de perspectives d’une fin de la pandémie ne feront qu’accroître ce phénomène au cours des prochaines semaines et des prochains mois. »
En quoi la campagne de sensibilisation peut-elle aider à améliorer la situation ?
V. F. : « Elle met d’abord l’accent sur des mesures préventives, parfois très simples à mettre en place. Exemple : un renforcement de l’accueil à l’entrée des entreprises… Un simple sourire peut parfois embellir la journée d’un collaborateur ! D’autres mesures demandent un travail de fond ; un management d’équipe peut s’avérer très délétère pour la santé psychique. Ensuite, viennent les mesures pour les personnes rencontrant des difficultés. Ici, il faut de l’information, de l’écoute des collègues et du management, de l’aide des professionnels de la santé et des budgets ; c’est évidemment plus compliqué à mettre en place. »
Souvent, on n’accepte pas ses limites ou on ne veut pas que les autres les constatent. Il est essentiel de briser ce tabou que l’on s’impose à soi-même
Peter Samyn
P. S. : « Notre campagne s’adresse d’abord aux collaborateurs car souvent, on n’accepte pas ses limites ou on ne veut pas que les autres les constatent. Il est essentiel de briser ce tabou que l’on s’impose à soi-même. C’est la raison pour laquelle nous disons de cette campagne qu’elle est ‘un rendez-vous avec vous-même’. À chacun de réfléchir à sa situation au travail, à ses limites… et à ne pas les dépasser ! »
Y a-t-il d’autres publics cibles ?
P. S. : « Bien sûr ! La campagne s’adresse aussi aux équipes – chacun doit pouvoir faire attention à la situation vécues par ses collègues -, surtout les employeurs, managers et chefs d’équipe. Ceux-ci doivent mettre en œuvre les mesures nécessaires pour lutter contre les problèmes de santé mentale. Il ne faut pas non plus oublier les indépendants, pour qui aller au-delà de leurs limites constitue souvent leur ADN. La crise les laisse payer un lourd tribut mental. Enfin, la campagne partage aussi des conseils, de bonnes pratiques et des outils pour éviter des rechutes lorsque les gens réintègrent l’entreprise. Ici, les conseillers en prévention et chefs d’équipe ont un rôle très actif à jouer. »
En chiffres…
– Selon l’INAMI, le nombre de Belges souffrant de burnout ou de dépression a augmenté de 39,23 % sur la période 2016-2020.
– En 2020, 36,87 % des personnes en invalidité l’étaient pour une maladie liée à la catégorie des troubles mentaux.
– Parmi ces personnes, 46,10 % souffraient d’une dépression et 19,37 % d’un burnout.
– Parmi les incapacités de travail de longue durée, la dépression représente 17 % des cas et le burnout 7,14 %.
Une campagne de sensibilisation multicanale
Le mois dernier, les services publics fédéraux Sécurité Sociale et Emploi ont lancé la campagne « Je me sens bien au travail ». Objectif : informer et sensibiliser au sujet du bien-être mental des travailleurs.
La crise du Covid-19 a bouleversé nos vies. Les nombreuses incertitudes et le stress qui en découlent peuvent avoir un impact sur notre bien-être mental, nous affectant nous-mêmes mais aussi notre travail et nos relations de travail. Parfois même sans que nous nous en rendions compte !
La campagne des autorités fédérales encourage chacun et chacune à parler de son bien-être mental au travail et à agir concrètement pour régler les problèmes éventuels. Elle aide également les employeurs à conclure des accords avec leurs travailleurs pour prévenir les risques psychosociaux liés au travail.
Cette campagne se décline sur de multiples supports, dont la radio et le web. Sur notre site, vous trouverez de multiples conseils, notamment au travers des rubriques « Prévenir », « Reconnaître », « Se reconstruire », « Prévenir les rechutes », « Reprise du travail » et « Les mots pour le dire ».